Les bunkers de Bionville à la Chapelotte

Au départ de Bionville, nous perçûmes des sortes de cris. Quelque chose d’étrange. Moins rude que « moi Tarzan, toi Jane », mais plus délicat que « moi incroyable Hulk vouloir oblitérer Karina-Iris ». Comment dire, plutôt du vagissement primitif, de la vocifération préhistorique, du beuglement bestial, ou encore du jappement barbare, et là pan, nous comprîmes en serrant les fesses : des rabatteurs et des chasseurs ! Du coup on me l’a faite à l’envers, cette rando, pour éviter de croiser les énergumènes susnommés.

Sinon, t’as déjà marché sur un gruyère, toi ? Ben moi oui, aujourd’hui. Des trous d’obus partout, des trous de bal… de cartouches dans les murs, des tranchées, un paysage tourmenté par l’Histoire, que des arbres nouveaux tentaient de cicatriser alors qu’aucun oiseau n’osait plus pépier, en mémoire de ce carnage qui endeuilla la montagne il y a siècle. Ouah t’as vu la phrase, là ? Eh pas mal, non ? Ajoutons la nature qui nous gratifiait de rochers comme taillés à la serpe, et fendus en deux comme si une Durandal survoltée s’était rappelée de Roncevaux pour tailler droit dans le grès. On m’aurait vendu le truc comme de l’art contemporain, j’y aurai cru ! Bon atterris, ma grande, ils sont pas là pour lire tes délires. Ils veulent savoir ce que tu as fait aujourd’hui.

Donc me voilà en plein champ de bataille dans les lignes allemandes de 14-18, sur les restes des traces de 1870. Des bunkers partout, du béton armé qui sert de support à des arbres qui s’y accrochent aujourd’hui, et voilà que je louvoie dans des tranchées plus hautes que moi, étroites et humides. De quoi me trouver dans l’ambiance. C’était saisissant. D’ailleurs j’ai été saisie et là je me ressaisis tout juste. Même 39-45 a laissé des traces ici au Col de la Chapelotte, comme la stèle en hommage aux fusillés du 11 septembre 1944, victimes de la sinistre gestapo. Et il y a la chapelle Cartier-Bresson pour un peu de recueillement. Les photos d’époque avec la montagne déplumée m’ont fait froid dans le dos jusqu’au fond de la culotte (mais ça c’était l’effet de l’arbre mort sur lequel je me suis posée pour déjeuner).

La meilleure, je te la garde pour les Roches Ganaux. Là j’apprends qu’en 14-18, les Allemands avaient construit un téléphérique qui montait hommes et denrées depuis Bionville, pour ensuite les acheminer au front par une voie ferrée. Et moi qui me suis épuisée à monter depuis Bionville à pied ! J’ai une question : c’est qui l’ectoplasme qui a démonté le téléphérique dont on n’a plus vu que les fondations, hein ? Je veux des noms !

Pour m’occuper l’esprit pendant que mes pattes se farcissaient les tranchées, je me suis posé une nouvelle question existentielle. Sachant que de la poule ou de l’œuf, on saura jamais qui était là en premier, et qu’en plus on s’en tamponne un peu vu qu’on peut manger les deux, je me demande qui était là en premier : le rhinocéros ou le casque à pointe ? Vous avez quatre heures ! Et enfin, t’as aimé « massacre à la tronçonneuse » ? Dans ce pays où tout tourne autour du bois, on t’a fait un « meurtre à la hache », photo réalisée sans trucage pour une fois !

Karina-Iris

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